[Replay] Surtourisme : une fréquentation contre nature ? par la Mission Agrobiosciences-Inrae et le Quai des Savoirs
Ce débat du 23 avril s’intègre dans le cycle d’échanges « Borderline : les limites en débat dans les champs des sciences et du vivant » et invite à la réflexion sur un thème plus que jamais d’actualité.
Pour visionner la rencontre, c’est par ICI.
En amont du débat et pour l’enrichir, la Mission Agrobiosciences-INRAE a sollicité l’analyse du directeur général de Haute-Garonne Tourisme, Jean Micoud :
Mission Agrobiosciences : Peut-être pour commencer, souhaitez-vous donner un point de vue assez libre à propos de la notion de surtourisme ?
Jean Micoud. Comme d’autres territoires, la Haute-Garonne est confrontée, particulièrement depuis la fin du Covid-19 et du confinement, à un phénomène d’hyperfréquentation de quelques espaces naturels. Que l’on qualifie le phénomène de surtourisme – terme qui irrite certains acteurs – ou de surfréquentation ne change pas le constat : à un moment donné, certains sites naturels font face à un afflux massif de visiteurs, lequel dégrade l’environnement et altère la faune et la flore. Ces derniers sont pourtant la raison d’être de ces lieux. Cela concerne certains sites pyrénéens, de la Montagne noire et des bords de la Garonne avec des conséquences pour la richesse biologique et l’expérience de visite. Pour toutes ces raisons, nous devons prendre en considération ce phénomène.
Parfois, la problématique du surtourisme suscite des réactions de colère, certains professionnels ayant l’impression que les mesures de préservation de la nature vont se traduire par une restriction de l’activité économique. Il ne s’agit nullement d’interdire l’activité touristique, donc économique, mais bien de l’adapter aux nouvelles contraintes qui s’imposent à nous.
Comment cela se traduit-il dans les actions menées par le Comité départemental du Tourisme de la Haute-Garonne (CDT31) ?
Cette préoccupation est totalement intégrée dans nos axes de développement. Citons par exemple la double labellisation Afnor « RSE et Responsability Europe » ainsi que tout le travail d’accompagnement mené auprès des acteurs touristiques pour qu’ils rejoignent le label Clé verte. Nous les accompagnons également pour qu’ils puissent bénéficier des fonds de l’Agence de la transition écologique (Ademe) et ainsi changer leurs outils de travail pour que ceux-ci soient plus écoresponsables. Par ailleurs, nous avons également décidé d’opérer du démarketing et de ne plus communiquer autour de certains sites touristiques. Enfin, nous sommes également engagés avec le Comité Régional du Tourisme et des Loisirs d’Occitanie dans un label territorial Green Destination, impliquant une préservation des espaces naturels.
La question du transport est l’un des points noirs de la surfréquentation que ce soit au travers du stationnement ou encore de l’accès. Est-ce également un élément sur lequel vous travaillez ?
Nous amorçons actuellement une réflexion sur le sujet, en travaillant sur ce qu’on appelle le dernier kilomètre. Depuis votre gare d’arrivée ou votre arrêt de bus, comment parcourez-vous le dernier tronçon ? Que ce soit pour atteindre votre lieu de villégiature ou celui de votre activité. Notre certitude : la solution ne pourra pas reposer uniquement sur les épaules des visiteurs. Elle devra automatiquement impliquer les habitants et les acteurs touristiques. Cela signifie également qu’il faut les intégrer d’emblée au dispositif, avec toutes les difficultés que cela suppose dans certaines zones.
Y a-t-il des conflits d’usage au sein de ces espaces surfréquentés ?
Parfois, oui. D’un côté, certains habitants qu’ils s’agissent de personnes installées de longue date ou tout juste arrivées, tolèrent mal l’afflux de visiteurs. Elles veulent que leur territoire soit libre de toute contrainte. Comprenez : de nombreux itinéraires de randonnée empruntent des terrains privés, comme des espaces dédiés aux exploitations agricoles ou forestières. De l’autre, l’augmentation du nombre de randonneurs sur certains itinéraires génère des nuisances qu’il ne faut pas minimiser, avec parfois un non-respect de l’environnement. Tout cela crée des crispations.
Récemment, un itinéraire de randonnée, existant pourtant depuis de longues années, a été fermé. Il passait au sein d’une exploitation forestière. L’exploitant – c’est tout de même son travail – a réalisé des coupes à proximité du sentier, provocant l’ire de certaines personnes empruntant le chemin. Résultat : face aux tensions, le propriétaire a préféré fermer l’accès.
S’ajoute enfin la question du stationnement parfois anarchique, autour des points de départ des sentiers. C’est par exemple le cas au lac d’Oô, bien que ce ne soit pas le seul site concerné. Un travail est d’ailleurs actuellement mené pour trouver des solutions permettant un accès respectant la biodiversité.
Il y a un autre élément auquel on pense, c’est le changement climatique qui accroît la vulnérabilité des espaces naturels et pose la question de la gestion des ressources comme l’eau. Comment cette question se pose-t-elle à votre échelle ?
C’est un enjeu crucial. Pour que l’activité touristique perdure en Haute-Garonne mais également dans les départements limitrophes du Sud-Ouest, qui ne sont pas des espaces littoraux, il faudra disposer de points de fraîcheur, donc d’eau. Ce que l’on remarque actuellement, c’est que la fréquentation baisse lors des périodes caniculaires. De ce point de vue-là, notre clientèle est très volatile : que les températures grimpent, et elle part en quête de fraîcheur.
En outre, cela génère de nouvelles problématiques. L’an passé, dans les Pyrénées, il faisait 30°C à 1800 mètres d’altitude : les gens se sont baignés dans les lacs de montagne, provoquant diverses pollutions, liées notamment à la dispersion des crèmes solaires.
Que ce soit d’un point de vue quantitatif ou qualitatif, la pression sur l’eau est énorme. Regardez la situation en Espagne : certaines villes rationnent l’eau, alors que la saison touristique n’a pas démarré !
Dans ce cadre, nous militons pour que l’eau soit bien sûr destinée à l’irrigation et à l’alimentation mais que la ressource puisse également être préservée pour constituer des points de fraîcheur et autoriser les loisirs nautiques. En Haute-Garonne, nous avons la chance d’avoir un fleuve. Quand bien même, le réchauffement climatique allant bien plus vite que prévu, cela va nécessiter beaucoup d’aménagements et une belle dose de réactivité.
Propos recueillis par Lucie Gillot, Mission Agrobiosciences-INRAE, le 12 avril 2024.